Le polonais Donald Tusk, président de l'UE : la figure de cette Europe néo-libérale, belliciste, et anti-communiste !
La nomination ce 30 août du premier ministre polonais à la présidence de l'Union européenne – en pleine vague d'austérité libérale et de frénésie belliciste anti-russe – est tout sauf fortuite: Tusk incarne bien cette Europe néo-libérale, militariste et anti-démocratique.
Cela fait des années que les médias et les partis dominants – surtout ceux dits « de gauche », même ceux dits de la « gauche de la gauche – nous martèlent la nécessité d'une « Europe forte », qui « parle d'une seule voix », « intégrée pour assurer la solidarité entre Etats, dépasser les clivages ».
La nomination de Donald Tusk, après l'insipide chrétien-démocrate Herman van Rompuy, marque un pas symbolique et concret dans l'intégration fédérale européenne : Tusk n'a cessé ces derniers mois de s'afficher pour une Europe forte, solidaire et visible sur la scène internationale.
Ses chevaux de bataille : le soutien à une position belliciste face à la Russie ; le renforcement du leadership allemand dans une UE engagée dans l'austérité européenne ; la consolidation à tout prix de la monnaie unique. Un programme agressif pour l'UE pour les trois ans à venir.
Le président du Conseil européen se place depuis le Traité de Lisbonne comme le « coordinateur », le « stratège » de la politique des différents pays européens, notamment sur les questions internationales. Quelle sera donc la stratégie pour l'Union européenne de Tusk ?
Le « reaganien » et « thatchérien » Tusk
Donald Tusk est depuis sept ans le Premier ministre de la Pologne, un record depuis la chute du communisme. Il n'a cessé d'être encensé depuis comme un dirigeant « responsable », « pragmatique », « courageux » par la presse économique.
Il avait promis en 2007 un programme de coupes massives dans les dépenses publiques et les impôts, de vastes privatisations, dans l'esprit d'un néo-libéralisme dont il se revendique fièrement avec comme modèles Margaret Thatcher et Ronald Reagan.
Il a bien lancé un programme de privatisations en 2008 comprenant la privatisation totale ou partielle de 802 entreprises (!) dont 54 entreprises-clés. Le gouvernement espérait alors plus de 10 milliards d'euros de recettes.
Aucun secteur n'a été épargné : chimie, les mines (charbon, lignite, souffre), le pharmaceutique, l'électricité (centrales), l'énergie, la machinerie, l'agriculture, la métallurgie, la santé, les banques et jusqu'à la Bourse de Varsovie. Varsovie, ville à vendre, il suffit d'en mettre le prix !
Pourtant, Tusk a bien été « pragmatique ». L'Etat n'a pas hésité à renflouer massivement les fonds de pension privés, en faillite après leur privatisation dans les années 1990.
Imposant aux autres pays l'austérité (grâce à l'euro), la Pologne de Tusk (avec sa zloty) a pratiqué la relance publique, avec des crédits facilités aux entreprises et des investissements publics en infrastructures pour l'Euro 2012 (8 milliards d'euros).
Sur le plan fiscal, c'est tout pour les entreprises et les riches : tandis qu'il ne touche pas au sacro-saint « Impôt sur les sociétés » à un taux déjà très bas de 19 %, il baisse les tranche supérieure (de 40 à 32 %) et moyenne (de 30 à 18 %) de l'Impôt sur le revenu, tout en supprimant une tranche.
Pendant ce temps, il augmente les impôts pour la population : la TVA passe de 22 à 23 % (on prévoit de l'augmenter à 25%), les taxes ont augmenté pour l'alcool, le tabac et le charbon.
La réussite de la Pologne – seul pays à ne pas entrer en récession – ébahit les commentateurs. Un mot discret sur le fait qu'elle est hors de l'Euro, sur les 2 millions de Polonais qui ont émigré, ou encore sur son choix de la « relance » couplée à une politique de déflation salariale.
Grâce à sa politique fiscale notamment, la Pologne propose des coûts de travail horaires de 7 € par h (contre 32 € en France, 29 € en Allemagne) selon le Ministère de l'Economie polonais.Tusk a même proposé une loi pour abolir la limitation de la durée de la journée de travail à 8 h !
En 2007, la Pologne avait été choisie par la Fédération des employeurs européens (Fedee) comme première destination en Europe pour les investissements grâce « à ses relations de travail particulièrement flexibles ».
Tusk l'européen : pour « l'Euro pour tous » … sauf pour son pays ?
Le couplet sur « Tusk, l'européen » était inévitable dans la presse français. Il est mérité tant Tusk fait étalage de son « patriotisme européen », valorisant sa position d'euro-fanatique face à l'euro-sceptique d'extrême-droite Jaroslaw Kaczynski.
Il a même remporté le prix « Charlemagne » en 2010 et « Walter Rathenau » en 2012 pour respectivement son « patriotisme européen » et son « engagement sans failles à l'intégration européenne !
Sa conception de l'Europe, elle s'inscrit dans le déplacement de l'axe Berlin-Paris vers un axe Berlin-Varsovie, avec un soutien sans réserves à la politique européenne de la chancelière Merkel.
Favorable à une « Europe allemande », il est aussi prêt à renforcer la réalité actuelle, originelle mais contradictoire d'une « Europe américaine », n'ayant cessé de manifester son alignement avec la politique étrangère américaine et son engagement atlantiste.
Un des combats de Donald Tusk est le renforcement de l'intégration fédérale européenne. Cela supposait l'entrée de la Pologne dans l'euro promise en 2007 pour l'an 2012. Il l'a repoussé en 2015. Désormais, l'entrée dans l'euro n'est plus à l'ordre du jour, si ce n'est comme horizon.
Car Tusk est pragmatique. Tout en conseillant l'entrée des autres Etats dans l'Euro – comme la Lettonie, la Lituanie – Tusk sait que le maintien de sa monnaie (avec 1 euro pour 4 zloty) garantit à la Pologne sa « compétitivité », un coût moindre des exportations. Le patronat préfère pour l'instant la monnaie nationale, tout comme 63 % des Polonais.
Après les ingérences en Ukraine, Varsovie prêt au conflit avec la Russie
Si il y a un front sur lequel Tusk a été offensif ces derniers mois, c'est le « front ukrainien ». En dépit de sa réputation de « modéré », « conciliant avec la Russie »,il a été l'avant-garde de ceux qui ont réclamé une position ferme, des sanctions contre la Russie.
La Pologne était parmi les puissances poussant le plus l'Ukraine de Ianoukovitch à signer l'Accord d'association avec l'UE, lorgnant sur le potentiel agricole, industriel mais aussi sur une sphère d'influence politique en Ukraine de l'ouest.
Le ministre des Affaires étrangères Sikorski a ensuite soutenu ouvertement les rebelles (les « indignés de Maidan » à crâne rasé), et Tusk est le premier à avoir proposé de financer l'opposition à hauteur de 1 million d'€ dans un premier temps pour « faire émerger des mouvements citoyens ».
Tusk est allé plus loin en se déclarant favorable au déploiement de troupes de l'OTAN sur son territoire pour la défendre contre la Russie, il a aussi accueilli en cattimini 120 chars allemands Leopard pour renforcer le Front de l'est.
Front de l'est, le mot n'est pas trop fort. Lors du sommet de l'OTAN, Tusk a appelé à renforcer l'organisation militaire atlantiste, consolidant l'UE comme « pilier de l'OTAN » en Europe depuis le Traité de Lisbonne.
Donald Tusk a osé une métaphore troublante, reprise dans Die Welt : « Si on observe la tragédie des Ukrainiens, sur le front de l'Est, nous pouvons nous dire que Septembre 1939 ne doit pas advenir une deuxième fois. Il est encore temps de les arrêter (les Russes) ».
Que la Pologne lutte avec l'Allemagne contre une « nouvelle invasion de la Pologne comme en 1939 », c'est une formidable ré-écriture de l'histoire. Moins étonnante qu'il n'y paraît chezcet anti-communiste, admirateur du général Pilsudski.
Pilsudski, commandant des forces polonaises dans la guerre contre l'URSS en 1919 devenu dictateur (« modéré » comme on dirait aujourd'hui) de 1926 à 1935, et ayant manifesté une attitude ambiguë envers l'Allemagne de Hitler – quand une partie de l'armée et l'intelligentsia polonaise voyaient comme un rempart face au bolchévisme.
Un anti-communiste viscéral
Car la matrice de l'engagement de Donald Tusk reste son anti-communisme viscéral. Il est né dans la lutte anti-communiste des années 1980 au sein du mouvement Solidarnosc où il se distingue déjà par ses positions néo-libérales, et naturellement anti-communistes, très à droite.
En 1989, après la chute du communisme, il fonde le « Congrès libéral-démocrate », défenseur alors de l'intégration européenne et du capitalisme sauvage. Il participe aux élections de 1991 sous le slogan : « Ni de droite, ni de gauche : tout droit vers l'Europe ! ».
Il est alors un des partisans de la « thérapie de choc » appliquée de façon désastreuse en Russie et dans d'autres pays de l'Est : privatisations, austérité salariale et budgétaire, baisse d'impôts pour les entreprises.
On peut relire ce que disait Donald Tusk en 1989, au moment où le régime communiste est sur le point de céder. Il n'a pas changé.
« Nous voulons une Pologne où les droits de propriété seront reconnus, où la liberté découlera de la propriété. Rien de nouveau, on nous dira. Mais toutes ces nouvelles idées-là, ces « troisième voie », ces « sociétés civiles non-bourgeoises », ces « socialisme à visage humain », ces « solidarités », cela sent l'utopie et la politique-fiction. De tout ça, on n'en veut plus ».
Donald Tusk a toujours été un « pragmatique » quand il s'est agi de défendre la propriété des riches. Il a toujours été un « croisé » quand il s'est agi de défendre le capitalisme, l'Union européenne, l'anti-communisme, l'atlantisme. Il fera un beau président de cette Europe-là.